En mars 2018, des étudiant.e.s du cours de Creative writing et des membres de la branche locale de la Société Franco-écossaise se sont rencontrés pour un atelier d’écriture ‘transgénérationnel’. À partir d’extraits de Je me souviens de Perec, chaque participant.e est parti.e en quête de souvenirs, avec deux contraintes d’écriture: que chaque phrase commence par ‘Je me souviens’, comme dans le texte de Perec, et que chaque souvenir provienne de la même année. À la lecture des textes, les autres participant.e.s ont ainsi essayé de deviner l’année dont il était question. Des années 1940 aux années 2000, malgré le passage des années et les changements d’époques, certains types de souvenirs ressurgissent: les joies et les craintes, les souvenirs familiaux, les souvenirs d’école, et les séjours à l’étranger.
In March 2018, students on the Creative writing course met with members of the local Franco-Scottish Society in St Andrews for a ‘transgenerational’ writing workshop. After reading some extracts from Georges Perec’s Je me souviens, participants started writing their own memories. The constraint was not only to start every sentence with ‘Je me souviens’ but also to select memories from one specific year – that other participants had to guess when everyone read out their memories. With memories ranging from the early 1940s to the years 2000, it is striking to see the same type of memories resurface – fears and joys, time spent at school, with family, abroad – as formative experiences.
Students discuss taking part in this workshop: Transgenerational workshop from University of St Andrews on Vimeo.
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1940
Je me souviens de la naissance de mon frère. J’ai passé la journée chez une voisine qui a préparé un déjeuner de saucissons.
Je me souviens de la neige – pas de bus ni de voitures, impossible d’aller à l’école.
Je me souviens de l’infirmière qui passait un mois chez nous et qui a inventé avec moi un chien imaginaire qui jouait.
Je me souviens des sirènes des tours d’alerte quand les avions allemands bombardaient la ville de Liverpool.
Je me souviens des nuits passées dans l’abri sous la maison, et mon petit frère qui refusait de rester là. J’avais peur quand ma mère devait rentrer à la maison avec lui.
Je me souviens du médecin canadien qui conseillait à mes parents de nous envoyer au Canada ou aux Etats-Unis.
Je me souviens de l’école primaire et des bonnes sœurs tout habillées de noir.
Je me souviens des halfpenny bars de chocolat Cadbury qu’on achetait à onze heures.
Je me souviens d’Ethel, la domestique qui habitait chez nous, habillée d’une robe verte.
Je me souviens du jardin de la nouvelle maison où je me suis coupé le genou sur un bout de fer.
Je me souviens de ma grand-mère et de sa cuisine.
Je me souviens de la pâtisserie de ma grand’ tante er de l’odeur de pain et de sueur chaude dans son atelier.
Je me souviens du marché à Wigan et les fermiers qui vendaient leurs légumes et leurs œufs.
Je me souviens d’avoir les mains et les pieds gelés au marché quand ma mère s’arrêtait pour bavarder avec des amis.
Je me souviens de l’imprimerie de mon grand-père qui m’offrait un billet de dix shillings qu’il avait « fabriqué » ce jour-là.
Elizabeth (Bunny) Slack
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1954
Je me souviens de Monsieur et Madame Talbot, mes hôtes lors de notre visite scolaire en Normandie.
Je me souviens de leur petite-fille qui aimait les coquelicots et à chaque fois qu’elle les voyait, disait « Ah Les coquelicots ! ».
Je me souviens de la grande tristesse et de l’horreur quand on recevait les nouvelles du désastre aux 24 heures du Mans.
Je me souviens des garçons français du village qui voulaient danser avec moi. Le jazz jouait « Les Saintes » comme je ne l’avais jamais entendu avant.
Je me souviens des moules que Madame Talbot avait laissées dans la cuisine quand les deux étaient partis rendre visite à leur fils.
Je me souviens de notre visite à St Valery-en-Caux et de la tristesse de notre maîtresse qui pleurait au cimetière des soldats de la guerre.
Je me souviens de mon effort pour ne pas tomber alors que nous avions fait ses danses Écossaises accompagnés par la cornemuse sur le pont du bateau en traversant La Manche.
Je me souviens de la bouteille de Calvados que Monsieur Talbot m’avait donnée pour apporter à mes parents.
Jan Winch
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1961
Je me souviens de la visite du général de Gaulle à Draguignan sous la pluie.
Je me souviens de mon arrivée à la gare, la petite gare des Arcs sur Argens.
Je me souviens de mon premier cours au Lycée de Lorgues.
Je me souviens de mes examens de juin, 10 x 3 heures.
Je me souviens de mon frère qui venait de réussir à avoir son permis de conduire.
Je me souviens du steak-frites que j’ai acheté à Vintimille pour 250 francs.
Je me souviens des soirées tièdes dans les vignes.
Je me souviens des escargots qu’on m’a offerts pour mon dîner à l’Hôtel Moderne et du Parc.
Je me souviens de ma visite chez la famille Gobert que je connaissais.
Je me souviens de la visite au cinéma à Draguignan où j’ai eu soif parce que cela se passait dans le Sahara.
Donald F. Macgregor
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1963
Je me souviens d’être en vacances.
Je me souviens du très beau temps.
Je me souviens des nouvelles à la télé.
Je me souviens d’une nouvelle étonnamment triste.
Je me souviens d’avoir pensé que c’était honteux qu’un homme si important ait été tué.
Je me souviens des diverses théories et conjurations proposées par tout le monde.
Je me souviens d’avoir pensé que rien ne serait plus jamais comme avant.
Je me souviens d’avoir songé aux autres hommes tués comme ça.
Je me souviens d’avoir oublié le moment du choc mais jamais la tragédie elle-même.
Je me souviens que la femme de l’homme tué avait épousé plus tard un homme Grec infiniment riche.
David Winch
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1964-65
Je me souviens de la retraite de mon père.
Je me souviens de la première fois que ma famille a déménagé.
Je me souviens de faire la connaissance de beaucoup de nouveaux copains.
Je me souviens d’éprouver un climat un peu différent – plus sec et plus froid.
Je me souviens de la sonnerie des cloches toutes les heures.
Je me souviens de nombreuses parties de tennis mixtes.
Je me souviens de prendre un chocolat chaud a onze heures si j’étais libre.
Je me souviens de soirées passées à la lecture.
Je me souviens de la bière tiède dans une cave surchauffée.
Je me souviens d’une jeune fille très jolie dont je suis tombé amoureux.
Je me souviens d’une grève parmi mes amis la fête de Saint André.
Je me souviens des obsèques de Winston Churchill vues à la télévision en noir et blanc.
Alan Dunlop
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1966
Je me souviens de Gerti, l’amie autrichienne de ma sœur venue lui rendre visite pendant un mois en été.
Je me souviens du voyage autour de l’Ecosse où il a fait beau tous les jours.
Je me souviens que mon père a acheté une télé couleur.
Je me souviens que L’Angleterre a gagné la coupe du monde. C’est interdit de l’oublier !
Je me souviens des jeux à l’élastique à l’école.
Je me souviens de Sacha Distel à la télé.
Je me souviens de marcher dans le sable d’une île à l’autre avec mon père, mes sœurs et Gerti.
Je me souviens de lire Winnie l’ourson.
Je me souviens que ma mère est retournée à l’école pour devenir professeur.
Je me souviens de monter dans les arbres et de tomber.
Pauline Galloway
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1968
Je me souviens de la joie de nos amis, pour avoir trouvé une bouteille de rouge de Neuchâtel à vider ensemble.
Je me souviens de la belle lumière naturelle de la salle de lecture à côté du lac.
Je me souviens du jour où notre prof de paléographie nous a mis La Chanson de Roland sous les yeux.
Je me souviens du café quotidien au 21.
Je me souviens d’avoir marché sous le soleil en pleine rue avec les étudiants de Neuchâtel.
Je me souviens d’avoir parlé français à Berne, pour obtenir une réponse en haut allemand.
Je me souviens d’avoir vu la Grande Charte au Musée Britannique.
Je me souviens de notre prof de français médiéval qui parlait de ses quinze jours annuels de réserviste militaire.
Je me souviens d’avoir traversé Delémont sous la neige, dans un train toujours à l’heure.
Je me souviens de m’être intéressé davantage au manuscrit de mon voisin qu’à celui devant moi.
Clive R. Sneddon
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1998
Je me souviens de bottes de foin, dans le champ, au mois d’août.
Je me souviens du permis de conduire, et des créneaux ratés.
Je me souviens de Madame Debief, notre prof d’histoire-géo.
Je me souviens de résultats du bac.
Je me souviens d’un chat noir et blanc écrasé.
Je me souviens des Guignols de l’info.
Je me souviens du premier anniversaire de la mort de Diana.
Je me souviens des mardis du cinéma.
Je me souviens que mémère était encore vivante.
Je me souviens de la tête de Zidane, et de « Mais ils sont où les Brésiliens ? ».
Je me souviens des vacances entre copines dans le sud de la France.
Je me souviens de Killing me softly with his song.
Elise Hugueny-Léger
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2000
Je me souviens de la naissance de mon frère. Je n’aimais pas le prénom que mes parents avaient choisi pour lui.
Je me souviens de ma maîtresse d’école, qui me faisait très peur.
Je me souviens de la première fois que j’ai regardé Titanic, quand j’ai appris que toutes les fins ne sont pas heureuses.
Je me souviens des Jeux Olympiques de Sydney.
Je me souviens d’avoir joué aux poupées avec ma sœur pendant des heures.
Je me souviens de la frayeur de la maladie de la vache folle.
Je me souviens de mes rêves d’être nageuse professionnelle.
Je me souviens de mes cauchemars, et de ma peur du noir.
Hannah Gray
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2001/2005
Je me souviens d’un homme dans le métro me criant en plein visage : « There will be a war ! ».
Je me souviens du vol Ryanair et de mes deux valises.
Je me souviens de George Bush à la télé, dans une école, interrompu par un de ses agents.
Je me souviens de l’odeur chaude et moite du métro.
Je me souviens des tours qui s’écroulent l’une après l’autre.
Je me souviens d’une statuette de l’Enfant-Jésus sur le rebord de la cheminée.
Je me souviens de la fermeture des parcs à Londres.
Je me souviens des petits pois accompagnant mon fish and chips.
Je me souviens des douze messages aux voix angoissées sur mon vieux répondeur beige.
Je me souviens du bruit des hélices des hélicoptères.
Je me souviens du sourire de Mrs Peacock, ma logeuse à Londres.
Odile Rimbert
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2007
Je me souviens des derniers jours à l’école primaire juste avant l’été, nous avons lu ensemble, allongés sur l’herbe.
Je me souviens des jeux de swing-ball avec ma sœur dans le jardin ensoleillé.
Je me souviens de ces dimanches matins, pelotonnée dans le fauteuil.
Je me souviens du café, où ma mère m’achetait du chocolat chaud les vendredis.
Je me souviens du voyage à l’aéroport très tôt le matin, le soleil était aveuglant à travers la fenêtre.
Je me souviens des petites promenades avec ma grand-mère dans les bois.
Je me souviens du dernier livre d’Harry Potter que j’ai acheté à WHSmith.
Je me souviens de mon premier jour au collège, où tout était plus grand.
Je me souviens des après-midis quand je faisais du vélo avec mon père en descendant la pente à toute vitesse.
Je me souviens de mon premier téléphone portable et c’était rose.
Kate Lesenger
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2016
Je me souviens du moment où Maman m’a dit que je n’avais pas besoin d’écourter mes vacances, c’était trop tard.
Je me souviens de la croisière pour voir des baleines.
Je me souviens de notre premier Noël sans ma grand-mère.
Je me souviens de chaque ride de son visage.
Je me souviens du jour où nous avons voté pour quitter l’Union européenne.
Je me souviens d’avoir perdu les deux enfants à Ikea.
Je me souviens de tous les moustiques au bord du lac.
Je me souviens de quand tu m’as dit « bonjour » pour la première fois.
Je me souviens de l’appartement plein de vie, plein d’amitié, toujours.
Je me souviens de conduire du mauvais côté de la route.
Abigail Kirkbright